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NOUVEAUX PROJETS GAZIERS : UN PREMIER TEST VERT POUR LA NOUVELLE COMMISSION EUROPÉENNE Spécial

Écrit par  Fév 10, 2020

Le Parlement européen va se prononcer cette semaine sur le financement de nouveaux projets d'infrastructures gazières au sein de l'Union. Deux récentes études appellent à s'y opposer en vertu de l'objectif de neutralité carbone que s'est fixé Bruxelles. Les experts mettent aussi en avant l'inutilité de ces projets en termes de sécurité d'approvisionnement et alertent sur les milliards d'euros de perte de valeur d'actifs qui vont en découler. 

C’est un premier test pour la Commission européenne, emmenée par Ursula von der Leyen qui a fait de l’urgence climatique son cheval de bataille. Les députés européens vont se prononcer mercredi 12 février sur le financement de 32 nouvelles infrastructures gazières (principalement des gazoducs, quelques terminaux GNL et des installations de stockage). Celles-ci font partie d’une liste plus large de "projets d’intérêt commun" (PCI), qui recense l’ensemble des chantiers d’infrastructures énergétiques éligibles aux fonds communautaires. Elle a été établie par la précédente commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker.

Des projets inutiles

Pour le cabinet de conseil Artelys, qui vient de publier un rapport (1) pour la Fondation européenne pour le climat, ces projets gaziers ne sont pas nécessaires du point de vue de la sécurité d'approvisionnement et sont susceptibles d’entraîner un gaspillage de 29 milliards d’euros de fonds publics. Le document montre en effet que les infrastructures gazières existantes sont suffisantes pour répondre aux futurs scénarios de demande de gaz dans l'Union, même en cas de perturbations extrêmes de l'approvisionnement.

Parmi les projets inclus dans la liste PCI, il y a par exemple le gazoduc trans-adriatique (TAP) traversant l'Italie, l'Albanie et la Grèce, le terminal de GNL Shannon en Irlande, pour importer du gaz des États-Unis, le terminal flottant de GNL croate sur l’île touristique de Krk ou encore le gazoduc Eastmed reliant Israël à Chypre et à la Grèce. Ces projets représentent 338 gigawatts (GW) de capacités supplémentaires qui viendraient s’ajouter aux 2 000 GW déjà existants alors que pour tenir ses objectifs climatiques, l’UE devrait baisser sa consommation de gaz de 29 % d’ici 2030.

Dépendance aux fossiles

"Nous risquons d’enfermer notre système énergétique dans la dépendance aux gaz fossiles pour les 40 prochaines années. Nous devons accorder la priorité aux investissements dans les énergies renouvelables", a réagi le ministre de l’Énergie luxembourgeois, Claude Turmes. L’eurodéputé français Pascal Canfin, qui préside la commission de l’environnement du Parlement, a appelé la Commission "à réexaminer sa liste à l’aune du Pacte vert et de l’objectif de neutralité carbone".

"La liste PCI est établie sur la base des travaux de nombreux experts et reflète les besoins des États membres pour achever et intégrer leurs marchés de l'énergie avec un approvisionnement sûr, abordable et durable. Les projets en question doivent donc être considérés comme valables et comme un élément nécessaire de l'infrastructure énergétique de l'UE", réagit James Watson, le secrétaire général d'Eurogas, l’association européenne du gaz.

Le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport de gaz (ENTSOG), composé des plus grands constructeurs et exploitants de gazoducs d'Europe et chargé de prévoir la demande future de gaz de l'UE, table sur une demande stable jusqu’en 2030. Mais ses projections sont accusées d'être historiquement surestimées. L’Agence de Coopération des Régulateurs de l'Energie (ACER) note de son côté que les projets PCI "ne sont pas correctement évalués en matière de durabilité".

Le GNL aussi néfaste pour le climat que le charbon

Une autre étude publiée la semaine dernière par l'ONG Global Energy Monitor (2) a elle aussi recensé les projets gaziers européens, en y incluant les centrales à gaz et arrive à la même conclusion. Elle dénonce 117 milliards d’euros de dépenses "inutiles" (dont 20 milliards d'euros au Royaume-Uni). "L'UE dispose déjà d'une capacité d'importation représentant près du double de sa consommation et les centrales déjà existantes ne génèrent qu'environ un tiers de leur capacité électrique", préviennent les auteurs.

Le gaz est présenté par ses défenseurs comme une énergie de transition car lors de sa combustion, il émet moins de CO2, d’oxydes d’azote et de soufre que le charbon et le pétrole. Mais selon une récente étude de Bloomberg Green (3), l’empreinte carbone des nouvelles installations de gaz naturel liquéfié (GNL) aux États-Unis rivalise avec celles de l’industrie du charbon à cause notamment du méthane qui est relâché pour sa production. Or, l’Europe importe 70 % du gaz qu’elle consomme, majoritairement depuis la Russie par pipeline mais aussi du GNL provenant des États-Unis et du Moyen-Orient.      

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