La pression citoyenne et judiciaire pousse des géants de l'agrochimie à changer de stratégie. Corteva, le plus grand fabricant de chlorpyrifos au monde, vient d'annoncer qu'il ne produirait plus ce pesticide très controversé alors que l'Union européenne vient de l'interdire sur son territoire. Une annonce qui fait écho à une réflexion entamée chez Bayer-Monsanto de ne plus vendre de glyphosate aux particuliers pour éviter qu'ils viennent grossir les rangs des millions de plaignants du Roundup.
Pendant longtemps, les géants de l’agrochimie ont joué l’indifférence face à la pression citoyenne et judiciaire qui pesait sur leurs produits. Mais cette pression est désormais si forte qu’elle les pousse à revoir leur stratégie. L’exemple le plus criant est l’annonce diffusée par Corteva le 6 février. D'ici la fin de l'année, le géant issu de la fusion entre Dow et Dupont, plus grand fabricant de chlorpyrifos au monde, a annoncé mettre fin à la production de ce pesticide qu’il commercialisait depuis 1965 !
Cette décision est "difficile" selon la présidente de la protection des cultures de Corteva, Susanne Wasson, auprès de Reuters. Elle résulte d’une vraie pression, qui a mené les États membres de l’Union européenne à ne pas renouveler l’autorisation de mise sur le marché du chlorpyrifos à partir du 31 janvier 2020. Elle a été motivée par la nocivité du pesticide sur le cerveau des fœtus et des jeunes enfants. Selon une étude réalisée par un groupe de chercheurs internationaux publiée en 2015 dans la revue Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, la famille de pesticides à laquelle appartient le chlorpyrifos ferait perdre en moyenne 2,5 points de quotient intellectuel (QI) à chaque enfant européen.
Pour justifier sa décision, Corteva préfère évoquer une baisse des ventes. Il indique ainsi une chute de 20 % de la demande aux États-Unis, son plus gros marché, depuis les années 1990. Et la récente interdiction de son produit en Europe mais aussi en Californie devrait aggraver la situation.
Les géants doivent faire des compromis
Chez son concurrent, Bayer, qui a avalé Monsanto en 2018, c’est en revanche une véritable crise. Le groupe croule sous les menaces judiciaires liées au Roundup, le produit phare du géant des OGM. Le risque financier est énorme, estimé entre 15 et 20 milliards de dollars. Jusqu’ici, le géant s’était montré stoïque. Mais la stratégie des avocats spécialisés dans les class action (actions judiciaires collectives) a fait virer de bord le paquebot Bayer. Les avocats auraient dépensé plus de 50 millions de dollars en annonces télévisuelles pour attirer les plaignants.
Une stratégie payante puisque, selon les informations du journal allemand Handelsblatt, Bayer envisage désormais d’arrêter les ventes au détail de glyphosate tout en continuer de servir les agriculteurs. Ce sont en effet les particuliers qui composent la majorité des plaignants. Le groupe, déjà affaibli par une capitalisation boursière qui a fondu de moitié depuis la fusion avec Monsanto et un vote de défiance de la part des actionnaires, doit maintenant montrer patte blanche. Et cela passe par des compromis auquel des géants de l’agrochimie vont devoir s’accoutumer.
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