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CRISE DES OPIOÏDES : JOHNSON & JOHNSON CONDAMNÉ À PAYER 572 MILLIONS DE DOLLARS, UNE AMENDE RECORD Spécial

Écrit par  Aoû 28, 2019

Le groupe pharmaceutique Johnson & Johnson a été condamné à payer 572 millions de dollars par un tribunal d'Oklahoma, aux États-Unis. En cause : sa responsabilité dans la crise des opioïdes, qui a provoqué la mort de centaines de milliers de personnes par overdose. S’il s’agit de la première condamnation d'un laboratoire aux États-Unis sur ce sujet, d’autres pourraient venir. Les laboratoires sont visés par plus de 2 000 plaintes en cours.

572 millions de dollars. L’amende paraît lourde. Elle devrait pourtant davantage peser sur la réputation de Johnson & Johnson que sur ses comptes. Celui-ci, plus connu pour ses produits d’entretien que ses médicaments, est en effet l’un des plus grands groupes de santé du monde. Le jugement, que le tribunal de l'Oklahoma vient de prononcer ce lundi 26 août, est pourtant moins sévère que prévu. Il devait déterminer le montant des dommages du laboratoire dans la crise des opioïdes, devenue une urgence nationale en 2017. Entre 1999 et 2017, 400 000 personnes aux États-Unis sont mortes d’overdoses liées aux opioïdes, selon les statistiques fédérales officielles.

L’État d’Oklahoma a été particulièrement touché. Entre 2015 et 2018, on y compte 18 millions de prescriptions de ces médicaments aux seulement 3,9 millions d’habitants. Près de 6 000 personnes y sont mortes par overdose et des milliers d’autres sont considérées comme dépendantes, y compris des bébés nés de mères dépendantes.

Les laboratoires aux origines de la crise

Après deux mois de procès, le juge Thad Balkman estime que Johnson & Johnson a intentionnellement survendu les bénéfices des opioïdes en diffusant de "fausses, frauduleuses et dangereuses campagnes marketing" qui ont conduit à "l’augmentation exponentielles des taux d’addiction et de mort par overdose". Le laboratoire Janssen, division pharmaceutique de Johnson & Johnson, distribuait le patch Duragesic et les pilules Nucynta. Ce ne sont toutefois pas les opiacés les plus connus du pays. Les opioïdes les populaires au moment de la crise, comme l’Oxycodin, sont fabriqués par les laboratoires Purdue et Teva. Ces derniers ont négocié des accords, plus avantageux, entre 85 millions et 270 millions de dollars pour éviter le procès.

Pour Brad Beckworth, l’avocat principal de l’État d’Oklahoma, "nous avons montré que Johnson & Johnson était à l'origine de cette crise des opioïdes", rapporte le New York Times. Entre 2000 et 2011, Johnson & Jonhson a réalisé près de 150 000 visites auprès des docteurs de la région, parmi les plus gros prescripteurs. La marque a aussi ciblé spécifiquement les femmes, adolescents et vétérans par ses campagnes marketing. Selon lui, le laboratoire "a généré des milliards de dollars sur une période de 20 ans" tout en "niant toute responsabilité", voire en affirmant vouloir "contribuer à la résolution du problème".

Mais pour le groupe pharmaceutique, la faible part de marché de ses opioïdes dans la région, environ 1 % selon l'entreprise, ne peut le lier aussi directement à l’épidémie. "Nous reconnaissons que la crise des opioïdes est une problématique de santé extrêmement complexe et nous assurons les personnes affectées de notre plus sincère compassion", mais "Janssen n’a pas provoqué la crise des opiacés dans l’Oklahoma. Ni les faits, ni la loi ne peuvent justifier l’issue de ce procès", a ainsi déclaré le directeur juridique vice-président exécutif de J&J, Michael Ullmann. Le groupe a d'ailleurs annoncé qu'il ferait appel de la décision du 26 août. 

Plus de 2 000 plaintes en cours

Le procès a été comparé aux actions en justice contre les fabricants de tabac qui se sont soldées par un accord de plus de 200 milliards de dollars en 1998. Mais le jugement contre Jonhson & Jonhson donnera lieu à peut-être plus de négociations que de procès. Plus de 2 000 autres plaintes ont été déposées contre les fabricants, distributeurs et vendeurs d’opioïdes, par diverses juridictions aux États-Unis, dont un procès fédéral, fortement attendu à Cleveland (Ohio). Il devrait opposer des centaines de villes et une coalition d’États contre des fabricants, distributeurs et pharmacies impliquées dans ce scandale.  

Après le jugement, le cours de bourse de Jonhson & Jonhson a grimpé de 2 %. Les autres fabricants ont également été peu affectés. Beaucoup d’analystes avaient anticipé une amende de l’ordre du milliard de dollars. L'État d'Oklahoma demandait 17 milliards de dollars pour aider à gérer les conséquences à 20 ans sur son territoire.

"La crise des opiacés a ravagé l'État de l'Oklahoma. Elle doit être contenue immédiatement", estime le juge Balkman, en fondant son jugement sur une loi contre les "nuisances publiques". L'Etat devra pour l'instant faire avec le demi-milliard de dollars demandé à Johnson & Johnson et les amendes des autres laboratoires qui serviront à financer des programmes dans l'État pour remédier à la crise, notamment en matière de lutte contre la toxicomanie.

 AFP