La ZLEC affirme de surcroît l’ambition de l’UA de devenir l’interlocuteur privilégié des pays extérieurs au bloc africain, au-delà des missions de sécurité et de paix qui emploient l’essentiel de ses ressources aujourd’hui, et de s’affirmer au surplus des communautés économiques régionales qui structurent les APE. Sans s’y substituer, car les APE demeurent, et les institutions économiques régionales aussi ; reste que la ZLEC traduit une volonté de devenir une institution pivot à l’échelle du continent.
La ZLEC a également pour objectif de résoudre la délicate équation financière de l’UA. Dépendante des bailleurs internationaux et captive de l’imprévisibilité des financements de ses 55 pays membres, elle a traversé en 2016-2017 une crise financière sans précédent, en raison d’un taux de défaut de plus de 30 % des cotisations de ses membres. Le président du Rwanda, Paul Kagamé, en a tiré les leçons dans un rapport au vitriol commandé par l’UA : réduire la dépendance envers les donneurs, prendre l’initiative pour autonomiser le budget, embrasser une vision continentale par l’introduction d’une taxe de 0,2 % sur les importations en provenance des pays non-Africains comptent au nombre de ses recommandations. La ZLEC les incarne, en organisant le démantèlement des barrières douanières à l’intérieur du continent, au profit des seules barrières extérieures. Aussi peut-on comprendre l’acte de naissance de la ZLEC moins comme l’adhésion béate à une doctrine libérale, et davantage comme le renforcement d’une institution africaine aujourd’hui incontournable.
Quelles relations Union africaine-Union européenne dans le cadre de la ZLEC ?
Dans ce contexte, la question qui se pose aux partenaires de l’Afrique continentale, et en premier lieu l’Union européenne (UE), consiste à réévaluer la valeur ajoutée de son approche régionale des relations économiques et commerciales avec le continent africain à l’aune de la nouveauté que constitue la ZLEC. Le choix fait par l’UE et les 79 États membres de l’ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique), dont 48 pays d’Afrique sub-saharienne, a été de promouvoir ces vingt dernières années des relations commerciales au sein d’accords de libre-échange régionaux (les « APE »). Ces accords font partie d’un accord plus vaste intégrant un dialogue politique structuré sur un vaste nombre de sujets touchant à la démocratie, la bonne gouvernance, les migrations ou l’état de droit. Ce dialogue politique, institutionnalisé au sein de l’accord de Cotonou passé en 2000 entre l’UE et les pays ACP, ne couvre pas les 55 pays de l’Union africaine. À l’inverse, l’UA ne dispose pas d’une structure de dialogue politique, institutionnalisée comme elle l’est au sein de l’accord de Cotonou, pour faciliter l’échange, concilier les points de vue, et au besoin sanctionner, les pays qui d’un côté ou l’autre de l’accord ne tiendraient pas leurs engagements tant commerciaux que non commerciaux. La ZLEC, pas plus que l’UA, ne désigne l’UE comme partenaire privilégié.
L’UE l’est de fait aujourd’hui, mais non de jure, et la différence est importante. Car elle dit que l’Afrique continentale se donne le choix, sans préjuger du sien. Et qu’il en va des relations politiques comme des partenaires commerciaux : c’est l’intérêt qui prévaut. À cette aune, les accords de Cotonou, et la stratégie de coopération internationale de l’UE avec le continent africain (« partenariat et stratégie commune UE-Afrique »), établie également en 2000 et révisée en 2017, pourraient être déjà dépassés. La balle, nous dit la ZLEC, est maintenant dans le camp de l’UE, notamment pour affirmer ce qu’elle attend de sa relation avec l’Afrique pour elle-même.
IDDRI